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Sébastien Chaigneau: "L’Ultra ne doit pas être un objectif de vie"

Jeudi dernier, l’ultra-traileur français était l’invité d’honneur d’une conférence organisée au magasin TraKKs d’Uccle. L’occasion de faire plus ample connaissance avec celui qui est l’un des symboles de la popularité croissante du trail ces dernières années.


Quand l’occasion de courir en compagnie de Sébastien Chaigneau se présente, il ne faut pas attendre les premières lueurs du jour pour enfiler ses chaussures. Le froid de la forêt de Soignes, plus humide que celui de ses montagnes d’adoption, ne l’a pas freiné que du contraire. « C’est bien d’avoir la forêt à proximité de la ville », nous dit-il directement de sa voix fluette et enjouée. Physique affuté, yeux clairs, boucle d’oreille, l’ultra-traileur qui voltige sur les cimes depuis une bonne dizaine d’années s’est imposé comme l'un des ambassadeurs du trail, un sport en plein boom dans notre pays.


En 2016, on recensait 35% de participants en plus au départ de ces courses natures de plus en plus nombreuses en Belgique. Mais la montagne, où les épreuves les plus dures et réputées se déroulent, reste le rêve ultime pour la majorité de ces amateurs. Un terrain difficile à appréhender dans des contrées aussi plates que les nôtres. C’est pourquoi, les magasins TraKKs ont organisé une conférence sur l’entrainement à adopter pour relever ce défi. En compagnie de son préparateur physique Vincent Rabec et de Caroline Freslon, elle même coureuse et organisatrice de stages en montagne, Sébastien Chaigneau a partagé son expérience avec la centaine de personnes présentes ce soir là.


Sébastien, que saviez-vous du trail belge avant de venir à Bruxelles ?


"Je me tiens au courant et je suis contacté par pas mal de coureurs belges via les réseaux sociaux. On se dit toujours que c’est un pays plat mais au-delà de ça, il y a une prise de conscience et l’envie de participer à des épreuves natures, à lâcher le bitume et le chrono pour profiter de l’environnement le plus simple et le plus accessible possible. Je connais un traileur belge, Alain Bustin, qui habite pas très loin de chez moi du côté de Chamonix. Il m’a présenté des coureurs belges sur le marathon du Mont-Blanc, des mecs qui tirent pas trop mal leur épingle du jeu malgré le peu d’entrainement spécifique. Au niveau des courses, je connais la Bouillonnante à laquelle je pourrais participer un jour. C’est toujours intéressant d’aller sur d’autres terrains que ceux auxquels nous sommes habituellement confrontés. On y échange avec d’autres coureurs. C’est parfois plus important que la performance même."


Est-ce que tout le monde peut faire de l’ultra ?


"Je pars du principe que c’est réservé à tout le monde. Notre corps a des capacités énormes et c’est à notre cerveau de casser les limites. Il y a des coureurs plus rapides, moins endurants qui vont d’abord devoir faire du court avant de passer à ce format quand ils auront quelques années de plus. Ensuite, il y a ceux qui sont directement en phase avec cette philosophie de course. Plus d’endurance, des longues montées et descentes. C’est une approche différente de la course à pied. Ce qu’il faut garder en tête, c’est de laisser le temps au corps de s’adapter et que cela peut parfois prendre quelques années. L’Ultra ne doit pas être un objectif de vie, il faut que ce soit une étape naturelle et pas à n’importe quel prix. J’ai connu beaucoup de coureurs dont c’était le rêve, qui en font rapidement et qui ensuite ont vite arrêté car c’était trop et trop tôt."


A quoi ressemble le quotidien d’un traileur professionnel ?


"Je suis un lève-tôt. Généralement 5h du matin. J’essaie de m’imposer deux séances d’entrainement dans la journée. Une axée sur la qualité d’environ 1h30-2h puis une séance d’endurance l’après-midi. Cela peut parfois être du vélo en été et du ski de fond en hiver, le but étant de récupérer de la séance du matin. En hiver, je cours généralement entre 120 et 150 km par semaine. En été, ça va parfois jusqu’à 200 en période de grosse préparation où l’on doit faire beaucoup de volume. Après, il y a la récupération qui est la face cachée de l’entrainement mais qui est aussi très importante. J’ai parfois fait des semaines contenant 320 kilomètres avec 25000 mètres de dénivelé. Le corps était très bien, la tête moins. Il faut éviter un burn-out de la course si on veut durer. C’est ce qui permet de cultiver l’envie".


Et quelle est l’importance de la communication avec ton statut de professionnel ? Salomon a par exemple rompu des contrats avec des coureurs moins actifs sur les réseaux sociaux. Qu’en penses-tu ?


"C’est comme la pédagogie, on l’a ou on ne l’a pas. On peut l’apprendre, mais on restera dans le scolaire. Si tu ne fais pas l’effort de faire des interventions avec les gens sur les courses ou lors d’événements, si tu ne fais pas l’effort sur les réseaux sociaux, alors le naturel revient au galop. Maintenant, je trouve dommage qu’une marque fasse un nettoyage de ce type. II faut aussi tenir compte des résultats."


Une année faste, 2013, où vous avez gagné la Hardrock 100 et la Transgrancanaria puis deux saisons émaillées par des blessures. 2016 a marqué votre retour au premier plan. Quels sont vos objectifs et vos ambitions pour les prochains mois ?


"Cette semaine (l’interview a été réalisée le vendredi), je pars au Chili, dans le sud de la Cordillère de Andes (la course change d’endroit chaque année), pour une épreuve de 4 jours avec des petites distances entre 25 et 35 kilomètres avec beaucoup de dénivelé positif (environ 2000 à chaque étape). Ensuite, je reviens en février pour le 84 kilomètres de la Transgrancanaria plutôt que le 125. Ensuite, je ferai des courses locales de 30-45 kilomètres, l’occasion de courir avec des amis et mon épouse qui en fera une aussi. En avril, direction Madère pour l’Ultra avant de filer vers les Dolomites au mois de juin pour la prestigieuse Lavaredo que j’ai déjà gagnée. L’été s’annonce chargé avec la Pierra Menta avant l’UTMB (son dossard a été confirmé deux jours plus tôt). Ensuite, j’adapterai mon programme. Peut-être que je ferai encore les Templiers. On verra bien."

Vous allez sur tes 45 ans. Un âge où dans l’imaginaire des gens, les sportifs pros sont à la retraite. As-tu déjà envisagé celle-ci ou pas ?


"La question est récurrente. Pour moi, il n’y a pas de limite. Tant que tu prends plaisir à l’entrainement, que tu te sens chaque fois plus vivant à chaque sortie. Un Marco Olmo a 68 ans et est toujours là. J’ai connu Werner Schweizer qui faisait 5e de l’UTMB à 64 ans. Sincèrement, sans blessure, je continuerais. Les limites sont fixées dans la tête. Les pépins physiques ne viennent pas par hasard. Il faut savoir les écouter. Je favorise les médecines parallèles comme l’acupuncture ou la réflexologie plantaire parce que la médecine traditionnelle soigne les maux mais ne les prévient pas. Après, j’ai toujours envie de repousser mes limites et de me fixer des objectifs personnels."


Vous avez fait des études dans la bio-technologie, envisagez-vous de retravailler dans ce métier ?


"Non, J’ai la chance de développer le matériel des marques avec lesquelles j’ai un partenariat. Et ça continuera aussi quand j’arrêterai de courir. Ma reconversion se fera naturellement. J’ai aussi des demandes pour du coaching. Ce n’est pas encore à l’ordre du jour. Je n’ai pas encore vraiment le temps."


Et quel est le rôle de la nutrition dans votre longévité ? Vous êtes un peu le Djokovic du trail puisque vous avez opté pour alimentation sans gluten.


"J’ai fait des examens et j’ai été diagnostiqué allergique au gluten. Il y a beaucoup de personnes qui sont intolérantes au blé moderne. Le corps n’est pas prêt à supporter la production actuelle de masse avec beaucoup de traitement. Il y a un effet de mode certes, mais dans notre sport, on est très à l’écoute de notre organisme. On évolue sur le fil du rasoir et le moindre grain de sable peut bloquer la machine. C’est difficile de trouver l’équilibre."


Peut-on s’autoriser de faire la fête dans ces conditions ?


"Le mental fait partie de la réussite. Si on ne l’a pas, il y aura toujours des excuses pour s’arrêter. La capacité à lâcher prise de temps en temps, de boire un verre ou l’autre avec des amis et des proches permet de couper un peu avec un cycle répétitif d’entrainement-récupération. Il faut juste éviter de se retourner la tête."


L’engouement général autour du trail est-il une bonne chose ?


"Il y a le côté positif. Notre sport attire de plus en plus de monde. Par sa simplicité, par son contact avec la nature, par son oubli des chronos. Je suis persuadé que l’évolution du monde passe obligatoirement par une bonne alimentation et une activité. En France, une loi récente permet aux médecins de prescrire des séances de sport. Cet aspect là, je le trouve positif. Par contre, je suis moins emballé par le côté consommateur de certaines personnes qui se mettent au trail. On n'avait pas l’habitude d’en rencontrer. On organise des courses découvertes avec des distances de 15-20 bornes sans barrières horaires vu qu’elles sont courtes. Malgré des départs à 9h du matin, à 19h tout le monde n’en a pas encore fini. Pourquoi ? Parce que des gens non préparés s’enregistrent sur ce type de course juste pour avoir une médaille et leur t-shirt de finisher juste pour avoir une reconnaissance sociale. De ce côté là, je trouve que c’est une dérive même si les gens se bougent quand même. Il ne faut juste pas que ça devienne une foire. Après je suis favorable à ce format court de course pour faire découvrir. Moi même, j’en ai fait pas mal avant de me lancer dans de plus grandes distances. Ca fait partie d’un apprentissage."


Une popularité grandissante, des risques de dérives consommatrices, la mauvaise réputation de certains sports d’endurance. Un cas de dopage à l’EPO (l’Espagnol Gonzalo Calisto) a été annoncé lors de l’UTMB 2016. Penses-tu que le fléau est implanté dans ton sport ?


"On parle d’un cas déclaré. Mais il y en a encore d’autres. Et depuis fort longtemps. C’est pourquoi je participe au programme Quartz en collaboration avec l’ITRA (La fédération internationale de trail). Mais paradoxalement, on s’est surtout rendu compte que beaucoup de cas se trouvent dans le milieu de peloton. Au départ de la TDS en 2014, un journaliste m’a dit qu’il avait trouvé une pochette avec 84 comprimés différents de 27 types dont 5 pouvant entrainer un contrôle positif. Il y avait de tout. Cette dérive là est évidemment très, très dangereuse. Surtout que certains le font pour les raisons évoquées plus haut d’une certaine reconnaissance sociale par leur statut de finisher. On ne parle même pas d’argent ou de trophées. Aux USA, certains ont l’habitude de consommer des anti-douleurs et des anti-inflammatoires. Associés à la chaleur et à la déshydratation, on a des coureurs qui sont sous dialyse."


Deux questions plus classiques. Quel est le meilleur traileur du moment ? Ou les, si jamais il fallait différencier vitesse, technique…


"(Sans hésitation) Kilian Jornet. Il a une telle marge sur tout le monde. Il arrive à un stade où il s’ennuie. Il ne fait plus trop de courses actuellement sauf celles où il peut se mettre en danger comme Sierre-Zinal par exemple. Mais il a de telles capacités. Il ne se sent vivant que quand il est sur le fil du rasoir."


Et la plus belle course, ou la plus difficile?


"Je reste bluffé par la Hardrock 100. C’est compliqué pour pas mal de choses, notamment l’obtention du dossard (tirage au sort où même les élites ne sont pas favorisées avec 5500 demandes pour 140 dossards). Il y a l’altitude (3000 m), on ne traverse aucun village ou presque et puis, il y la cerise sur le gâteau : tu fais partie de la chaine alimentaire. Il y a des animaux susceptibles de t’attaquer comme des pumas, des ours, des orignaux. Tu as la possibilité de te réintégrer dans la nature. C’est un sentiment unique. Et puis, c’est une course très conviviale avant et après."


Et la Barkley, vous en pensez quoi ?


"La Barkley est plus un phénomène. Je ne la considère pas comme une course mais comme un gros défi amusant. Ca reste une course marginale, même si elle est légendaire. Elle ne veut pas spécialement grandir et c’est un choix assez fréquent aux Etats-Unis. C’est pareil à la Hardrock où les dossards sont limités à 140. Après, d’autres épreuves ont fait le choix de grandir comme Leadville où l’on a maintenant 800 coureurs au départ. C’est un choix, surtout aux USA."


Pour rester aux Etats-Unis, comment expliquer que leurs coureurs nationaux et les Canadiens peinent à gagner sur les courses européennes alors qu’il y a pourtant d’excellents traileurs comme Rob Krar, Zach Miller, David Laney, Geoff Roes ou Anton Krupicka ?


"Ce sont des cavaleurs. Mon équipier Rob Krar chez North Face peut courir un marathon classique en 2h15. Leurs courses sont aussi plus roulantes, moins techniques comme Leadville. C’est pourquoi les Européens tirent pas mal leur épingle du jeu à la HardRock (que Sébastien a gagné en 2013) qui offre un terrain plus technique. Nos ultra-trails sont aussi plus techniques et assez cassants et ils ont plus de mal à s’adapter. Mais ces dernières années, ils montrent qu’ils sont quand même pas loin. Ils finiront bien par en gagner un comme l’UTMB."


Depuis 2014, il existe un Ultra-Trail World Tour, un peu comme en cyclisme. Que penses-tu de cette formule ?


"Je n’y participe pas pour une seule et unique raison. C’est contraignant et l’on est obligé de choisir les courses composant le challenge. Moi, je choisis mes courses et mon calendrier. J’ai peur que ce système finisse par drainer des blessures. Il faut être vigilant. Dans mon contrat, mes sponsors ne m’obligent à participer à aucune course. Il peuvent me proposer des courses où ils sont partenaires. Mais je suis libre d’y aller sans courir ou de faire une petite distance au milieu du peloton. Ca rapporte parfois plus de visibilité au sponsor que si je jouais les places devant."


L’équipe North Face s’arrange-t-elle comme Salomon pour ne pas regrouper certains coureurs sur les mêmes courses. Un peu comme Salomon l’a déjà fait avec Kilian Jornet et François D’Haene ?


"Il n’y a vraiment aucune concurrence chez nous comme chez Salomon. Au contraire, on essaie de se regrouper pour faire des épreuves ensemble. Contrairement aux équipes cyclistes, il n’y a pas vraiment de stage de pré-saison où tous les membres se retrouvent vu que nos coureurs sont dispersés sur plusieurs continents. Nous sommes assez autonomes dans notre entrainement. Du coup, c’est sympa de pouvoir se retrouver en course avec Rob Krar et d’autres."


propos recueillis par Fabien Chaliaud