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François D’Haene: «il faut toujours rester humble face à l’ultra-trail»

INTERVIEW

François d'Haene has given this interview in French.

 

Après Sébastien Chaigneau, c’est François D’Haene qui nous a fait l’honneur de venir chez TraKKs pour deux conférences exceptionnelles à Uccle et Namur. Vous étiez environ 400 à avoir pu échanger avec ce champion hors-normes et décontracté dont l’humilité n’a d’égal que la longueur de ses jambes et de son palmarès. Vous avez pu aussi déguster les produits de celui dont la vigne est la seconde passion. Disponible avec tous, le grand François a même accepté de répondre à quelques unes de nos questions.


Des distances incroyables, des dénivelés impressionnants, courir la nuit. Qu’est-ce qui peut motiver quelqu’un à se lancer dans cette discipline un peu folle qu’est l’Ultra Trail ?

« Je pense que chaque coureur peut avoir ses raisons personnelles de se lancer dans l’ultra. Pour moi, ça représente l’aventure, une quête de quelque chose qui n’est pas forcément réalisable, la recherche des limites du corps, du raisonnable et de plein de choses, le tout dans une ambiance particulière. Dans les courses de plus courtes distances, on ressent plus l’esprit de compétition et de bagarre qui prend le pas sur l’aventure. Ce n’était pas autant le cas il y a 7 ou 8 ans lorsque les trails étaient moins nombreux qu’aujourd’hui et que les gens ne banalisaient pas des distances de 45 kilomètres. A ce niveau, l’Ultra reste toujours plus particulier parce qu’il constitue un énorme challenge face auquel il faut être humble et aller à reculons. C’est une atmosphère spéciale qui me plaît, me motive et me pousse à me lancer des défis ».

Comment t’es-tu lancé dans ton premier Ultra ?

« La recherche du dépassement. C’était un pari pour voir si j’en étais capable. Il s’agissait d’un 72 kilomètres sur lequel un copain m’avait inscrit il y a 12 ans (il en avait donc 19). Bon, je courais déjà beaucoup vu que je faisais de l’athlétisme (notamment le 3000 mètres steeple). Je suis parti avec mon pote et on a remonté petit à petit tout le peloton et j’ai finalement réussi à gagner la course (rires). Mais au-delà de la victoire, c’était surtout l’expérience qui m’avait séduite. Cela m’a permis de me rendre compte qu’après 4 ou 5 heures de course, il y avait un challenge, une gestion de l’effort qui me plaisait plus que d’autres coureurs. Je m’amusais là où d’autres se lassaient ou ne prenaient pas autant de plaisir. J’ai donc continué. »

Que penses-tu d’ailleurs de l’évolution de ton sport dont l’engouement ne cesse de grandir année après année ?

« Oui, de plus en plus de coureurs se mettent au trail, que ce soit en France, en Belgique ou ailleurs. Des personnes qui viennent parfois de l’athlétisme ou d’autres sports ou même qui n’étaient pas des sportifs. Je trouve cela très bien. Ce sont des gens qui vont se tourner vers la nature, vers l’écoute de leur corps et qui ont envie de se faire du bien, de se faire plaisir en dehors des sentiers battus. Puis le trail implique aussi une notion de partage, on est moins axé sur le chrono que dans les compétitions sur route ou sur piste. C’est pratiqué plus comme un loisir, ce qui explique l’engouement de personnes qui ne sont pas spécialement des sportifs dans l’âme. Mais après, comme dans tout, il faut surveiller certaines dérives et l’évolution des chose. On veut hiérarchiser ce sport, on veut créer un élite, on veut créer des classements et c’est vrai que cette optique n’est pas spécialement une des valeurs que veut promouvoir le trail. Donc il faut essayer de trouver un équilibre pour respecter ce qui a fait l’attrait de cette discipline sous peine de perdre l’engouement actuel. Je veux garder le côté populaire où l’élite se mélange à la masse des autres coureurs. Même, si on sera un peu obligé de segmenter avec l’engouement. Mais pouvoir courir avec tout le monde, il n’y a que dans ce sport là ou presque que ça peut exister et je trouve ça fabuleux. Il faut continuer à proposer des parcours logiques qui permettent le dépassement de soi, la découverte de paysages et de terroirs. On peut un peu professionnaliser l’Ultra en mettant en avant certaines personnes tant que ça reste bon enfant. Pour l’instant on en joue un peu entre nous sur les réseaux sociaux dans cet état d’esprit là. » 


« Lors de mon premier Ultra, j’ai compris que je prenais plus de plaisir après 4 ou 5 heures de course »


Ca fait donc plus de dix ans que tu obtiens des résultats là où d’autres traileurs font des performances pendant 1 ou 2 saisons avant de disparaître. Quel est le secret de ta longévité ?

« Tout est une question d’équilibre. Le goût amène l’envie, puis les résultats. Il faut trouver la bonne balance, voir ce qui nous motive, ce qui nous fait rêver ou pas. Ca peut arriver qu’on ne soit pas motivé à des entrainements et que forcément, ça se passe mal. Il faut voir chaque saison ce qui a été ou pas. Il y a des centaines de courses à tous les niveaux et beaucoup de beaux challenges et défis à relever. Et encore, les courses ne sont pas forcément nécessaires. On peut aussi se lancer des défis entre amis pour découvrir de nouveaux endroits. Car l’avantage du trail est d’être universel et de pouvoir courir partout. Donc pour résumer, j’essaie chaque année de faire une coupure pendant laquelle je planifie ma nouvelle saison en fonction de mes envies, de mes impératifs sociaux et familiaux. On peut évidemment commettre des erreurs en goupillant un calendrier, mais si on y a bien réfléchi, on est motivé par la chose et ça permet que les choses se passent le mieux possible ».

Tu parles beaucoup de vie sociale et familiale. A côté de l’ultra, tu es aussi vigneron et père et deux enfants. Comment fais-tu pour gérer un agenda aussi chargé ?

« C’est clair qu’il faut de l’organisation et que ce n’est pas facile tous les jours. Mais il faut avoir envie de le faire et être passionné, ça permet d’accepter des choses plus dures et fatigantes. Dans la vie, il ne faut pas faire de compromis. Je n’ai pas envie d’en faire avec mes enfants, je n’ai pas envie d’en faire dans mon sport si je veux maintenir un certain niveau de résultats.»

Quel est le volume d’entrainement d’un athlète de ton niveau ? On imagine que cela doit représenter beaucoup d’heures et de kilomètres ?

« Quand je faisais de l’athlétisme, je faisais beaucoup de footings à 12-13km/h sur environ 15-20 kilomètres. Ca aide à travailler la vitesse. Mais aujourd’hui je fais presque plus ce genre de séances. Je cours très rarement 18km comme je l’ai fait avec vous aujourd’hui. Je fais plus souvent 13-14km. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, je n’ai pas tant de grosses semaines d’entrainement que ça. Il y a en a toujours deux-trois par an placées à environ 1 mois de mes gros objectifs. Elles représentent 30-35 heures mais comprennent pas que de la course mais aussi de la marche à pied et du vélo. Je fais parfois des sorties de 8 heures mais où je ne cours peut-être que 30 ou 35 kilomètres. En général, je ne calcule pas cela en terme de kilomètres mais de temps passé dehors en nature. Ces semaines « lourdes » sont conçues dans le cadre d’une ascension et d’une progression de ma condition. Mais ensuite, il y a aussi des plages de récupération avant mes compétitions. Je n’ai en tout cas pas de continuité dans mes semaines d’entrainements qui sont différentes et très variées. J’adapte aussi mes entrainements aux endroits où je suis et aux possibilités que j’ai. »

On l’a dit, tu es aussi vigneron. Alors entre boire et courir, faut-il choisir ?

« (Rires). Chacun trouve du plaisir dans ce qu’il a envie de faire. Certains ont besoin de cette privation pour se tourner vers le sport. Faire attention à ce qu’ils mangent, ce qu’ils boivent, comment ils dorment. Des personnes peuvent trouver du plaisir dans ce mode de fonctionnement et c’est tant mieux. Après dans le trail, on a la chance d’être dans une discipline différente de l’athlétisme ou d’autres sports où les kilos en trop ne sont pas des kilos « de bonheur ». Les défis de l’Ultra sont plus longs. On est toujours dehors, il y a une grosse dépense énergétique. Il faut certainement la combler aussi. Si vous faites une grosse sortie en montagne et que vous avez envie après de boire un verre de vin avec des amis ou de la famille, ça ne va pas vous pénaliser. Vous allez prendre du plaisir et c’est une bonne chose pour le mental. Après sur le plan physique, le vin est composé de beaucoup d’eau et c’est très bon pour la santé (rires). ll faut naturellement éviter les excès et ne pas pousser vers ceux-ci. »

Et la veille d’une course ?

«Je ne vais pas boire une bouteille la veille du tour du Mont-Blanc. Mais après un verre de vin peut permettre à certains de se détendre. On va partir pour 24 heures d’effort, donc on a largement le temps de l’éliminer (rires). »

« Je n’ai que 2 ou 3 grosses semaines de préparation sur une saison »


On annonce un gros UTMB cette année ? Seras-tu de la partie ? Quel serait ton prono et penses-tu pouvoir rééditer ta prestation de 2014 où tu avais battu le record ?

« Un gros plateau comme tous les ans j’aurais envie de dire (rires). Oui, j’y serais normalement après trois ans d’absence. Mais y aura-t-il beaucoup de coureurs belges au départ ? La question est peut-être de savoir qui sera le premier derrière vos compatriotes (rires). Personnellement, rééditer ma performance de 2014 sera compliqué car je pense que tout s’était déroulé de manière parfaite cette année là. »

On pose souvent la question des coureurs américains qui veulent gagner cette course mais n’y arrivent pas. Quel est ton avis ?

« C’est leur comportement qui veut ça, la manière qu’ils ont de se positionner par rapport au trail. Au début ça me choquait presque, mais c’est leur façon médiatique de l’aborder, de jouer un peu la provoque. Au final, quand on discute avec eux, ils sont très gentils. Mais bon, pour moi il faut quand même toujours rester humble par rapport à un ultra. Par respect pour l’épreuve, parce que le parcours, la montagne , la météo sont des paramètres toujours très difficiles à aborder. Maintenant, ça me fait rire quand je les entends. Ils sont très forts sur longue distances mais pas sur les mêmes dénivelés. Ca passera sans doute dans les prochaines éditions, peut-être même dès cette année car ils sont vraiment très forts. Mais les Européens, de par leur expérience de ce type de terrain et de conditions, conservent toujours une bonne chance surtout si la météo est plus capricieuse. 20-22h en montagne, ça reste différent de 12h de sur un terrain moins exigeant. »

Tu es né à Lille même si tu es parti très jeune avec tes parents en Savoie. Que connaissais-tu du trail en Belgique ? As-tu déjà participé à des courses ?

« Je n’ai jamais fait de course chez vous, simplement parce que je préfère les épreuves avec plus de dénivelé mais aussi parce que j’essaie de limiter leur nombre pour passer du temps en famille. Mais je suis l’évolution du trail belge grâce à Jean-Michel Faure-Vincent du team Salomon Belgique qui en discutait souvent avec moi vu mes origines nordistes. Puis, j’ai toujours de la famille dans cette région, des cousins qui font des petits trails dans les Flandres (aussi bien françaises que belges). Les traileurs belges sont très véloces sur des trails « plats », mais certains se débrouillent pas mal en montagne. Du coup, ils passent un peu pour des extra-terrestres. » 

Tu es un peu atypique avec ton mètre 92 alors que la plupart de tes adversaires mesurent 1m70 ou 1m75. Ta taille est-elle un avantage ou un inconvénient ?

« Parfois, c’est handicapant . Surtout dans les descentes car je suis moins stable avec mon centre de gravité plus haut. Je me prends aussi plus facilement les branches. Après, quand il y a de grandes marches, ça m’aide. Mais j’ai aussi plus de poids à trainer même si je suis fin (rires) . »

Tu es aussi kinésithérapeute, on imagine que ça a pu t’aider ?

« Ca m’a aidé à connaître mon corps, ses chaines musculaires, à savoir quels étirements faire. Quand j’ai une petite douleur, je peux plus facilement savoir ce que c’est en plus de l’expérience du trail qui aide aussi à se connaître ».

Envisagerais-tu de reprendre cette activité un jour ?

« Pourquoi pas ? Pour l’instant, je suis dans le vin car nous avions le désir de faire quelque chose en commun avec Carline (sa compagne). On ne sait jamais de quoi l’avenir sera fait. »

Penses-tu au moment où tu arrêteras et que penses-tu des traileurs comme Marco Olmo qui continuent encore de courir  ?

« J’arrêterais quand je n’aurais plus l’envie et que je sentirais que j’en ai marre. Je trouve fabuleux d’avoir des mecs passionnés comme Marco qui continuent à courir. Parce qu’il n’y a que la passion qui peut expliquer ça. Même si après, ils ont commencé plus tard que moi et que leur corps est peut-être lassé moins vite. »

Justement, quels traileurs t’ont inspiré ?

« Quand j’ai commencé et que je suis venu lors de la deuxième édition de l’UTMB, les trois coureurs dont on parlait étaient Darwa Sherpa, Vincent Delebarre (le vainqueur cette année là) et Christophe Jaquerod. Ca m’avait amusé de les voir comme ça au départ avec nous. C’étaient des personnes humbles qui pratiquaient leur sport par passion et qui avaient couru un peu partout. C’est cet aspect là que je trouvais le plus inspirant ».


« Les gens ne comprennent pas toujours que Kilian et moi sommes plus attirés par l’aventure que le classement »


Il y a un rumeur comme quoi Kilian Jornet et toi n’êtes pas alignés sur les mêmes courses à cause de Salomon ? Mythe ou réalité ?

« Absolument pas. Les gens ont du mal à comprendre qu’on ne court pas spécialement derrière un classement ou un titre de numéro 1 même si on aime tous les deux être devant dans une course. Ce qui nous motive en premier, c’est le challenge, aller au bout peu importe la place. Et Kilian, c’est peu pareil. On est plus attiré par des aventures que des confrontations. Mais on courra sans doute encore ensemble sur un ultra. Mais sur plus de 20 heures d’effort, on n’a pas envie de se donner des coups de coude mais de se donner au mieux. On ne fera pas tout pour absolument se départager même si je sais que ce sera au regret de beaucoup de journalistes. D’ailleurs à la Diagonale des fous, on avait couru ensemble et il m’avait dit d’y aller à un moment de la course. Mais il avait eu une longue saison et manquait de fraicheur alors que moi j’étais sur un de mes gros objectifs. D’ailleurs sans doute que sur la distance courte, il m’aurait  battu. Ca prouve qu’au final, chacun fait sa course et se donne à fond en fonction de ses possibilités du moment ».


Les sports d’endurance ont souvent mauvaise réputation au niveau du dopage. Penses-tu qu’il y en a dans ton sport ?

« Je fais partie du programme QUARTZ (qui lutte contre le dopage dans le trail), comme Sébastien Chaigneau d’ailleurs. Mais je n’ai pas eu personnellement beaucoup de retour de celui-ci. Je pense qu’il y aurait sans doute pas mal de gens positifs dans le milieu du peloton. Mais pas forcément du dopage pour se mettre en valeur ou améliorer les performances. Plus des gens qui ont été malades, qui prennent des produits pour faire leur course. A l’avant du peloton, je pense que les gens sont conscients des méfaits du dopage sur le corps et qu’ils respectent ça. J’ose espérer sincèrement que ce genre de pratique n’est pas répandue dans le trail. »

Quelle serait la course qui te motiverait encore ou la plus belle que tu as faite ?

« Le GR20 en Corse (où il a battu le record en 31h06 en 2016) représentait quasi le Graal de ce que je recherchais au niveau du parcours, de l’intensité et du challenge. Après il y a des épreuves aux Etats-Unis qui m’attirent, tout comme la possibilité de me lancer sur des distances de 200 miles (320 km). »


Interview by Fabien Chaliaud